Mr Montre propose une rubrique baptisée « Entretien avec » qui permet de faire le point sur les activités d’un acteur du marché de l’horlogerie. Cette fois, c’est Nicolas Ducoudert Pham, le fondateur de Beaubleu, qui a accepté de se prêter à cet exercice.
Nicolas Ducoudert Pham bonjour, vous proposez depuis 2017 des montres en édition limitée (B01, Union et Vitruve), et depuis peu une collection permanente (ECCE). D’où vous est venue l’idée de créer une marque de montres ?
(Beaubleu B01 / Beaubleu Union)
Nicolas Ducoudert Pham : un peu par hasard (rires). Je suis designer de formation et j’ai travaillé entre autres dans les secteurs de l’automobile et du luxe…. J’ai toujours été passionné par le design en général et par le design de l’horlogerie en particulier. Pourquoi par hasard ? J’ai dessiné un nouveau TGV pour Alstom, un projet très intéressant mais très long, j’avais beaucoup de temps pour moi et j’en ai profité pour me faire un très beau cadeau : concevoir ma propre montre.
J’ai déjà dessiné des montres pour d’autres sociétés (notamment dans la haute horlogerie/joaillerie) mais cette fois le but était de me faire plaisir avec un projet conçu de A à Z. Je reprends de mes cartons un design de montre réalisé pour mon projet de diplôme : une montre qui présente une soixantaine d’aiguilles qui en se rapprochant ou en s’écartant permettent d’afficher l’heure. Ce design a d’ailleurs été à l’origine du boîtier de la B01.
Quand j’ai conçu ma montre, j’ai dû retravailler le boîtier que je trouvais sur le moment magnifique mais qui avait beaucoup défauts (finalement). Arrivait ensuite la question de la conception du cadran et des aiguilles. Je n’avais pas du tout l’idée d’en faire une marque à part, j’avais même beaucoup d’a priori sur les gens du milieu horloger. J’avais peur du côté égocentrique en créant une marque.
Je continue quand même de créer ma montre, toute simple, avec des aiguilles classiques…et je trouve ça un peu chiant (rires). Je redesign la montre, je plonge dans mes cours de design, et l’idée des aiguilles circulaires apparaît. Je vais voir des contacts que j’avais dans l’horlogerie pour créer un premier prototype : on me dit soit oui pour le boitier, non pour les aiguilles, soit tout l’inverse… avant qu’on me dise oui pour les deux, mais ça va être difficile.
J’ai suivi ce partenaire et j’ai fait un développement du premier prototype en suisse avec un devis dont je me souviens encore du montant (à cinq chiffres). Je savais que c’était un beau cadeau que je me faisais, c’est beaucoup d’argent investi, la montre évoque quelque chose, et je me suis dit qu’il pouvait peut-être être intéressant de ne pas juste la garder pour moi.
Je vois alors à peu près dans quoi que je m’embarque et j’ai eu l’impression d’avoir un produit qui parle par lui-même ce qui m’enlève quand même l’effort et l’investissement que je n’ai pas dans du marketing. Et mon but était de toucher à la fois celles et ceux qui connaissent l’horlogerie et ceux qui découvrent ce milieu.
Je me suis dit : on lance le truc, si ça se trouve dans 3 mois ça va s’arrêter et au pire on se sera amusés (rires), j’aurais eu mon prototype et voilà. Et ça a plutôt bien marché, suffisamment pour amorcer la production : on a commencé à vendre 500 pièces de la B01 sur notre site Internet, puis 3 500 pièces de la Union via une campagne Kickstarter [NDLR : et plus de 5 300 Vitruve, sachant que toutes n’ont pas pour l’heure été achetées. J’évalue le nombre total de montres vendues à 7 500 pièces].
Au final, ça a bien pris. On a augmenté les prix car au début je n’avais pas du tout d’objectif de rentabilité, le but était de créer une communauté. Le seuil des 1000 € atteint aujourd’hui est très honnête pour les clients et honnête pour nous aussi car l’idée est de se développer et d’augmenter en volume tout en conservant une bonne qualité de fabrication.
D’où vient le nom de la marque Beaubleu, à part votre intérêt pour la couleur ?
Beaubleu vient de la contraction de deux termes : Beaudelaire avec sa célèbre phrase « Le beau est toujours bizarre », et Bleu, qui évoque la couleur symbolique de Paris. Notre « bizarrerie parisienne » se traduit par Beaubleu.
Pouvez-vous nous présenter Beaubleu en chiffres ? Nombre de salariés, nombre de montres vendues chaque année, prix moyen d’une montre de la marque…
Nous étions deux à plein temps jusqu’à encore très récemment et nous sommes passés à sept cet été avec entre autres un horloger, un directeur commercial, un directeur marketing, un directeur de la communication et un responsable clientèle.
Notre prix moyen est à 930 €. Nous vendons environ 3 500 pièces par an.
Les montres Beaubleu ont toutes en commun d’avoir des aiguilles (heure – minute – seconde) circulaires. D’où vous est venue cette idée de mesurer le temps grâce à ces aiguilles très caractéristiques ?
Je me suis posé une question simple : quel est aujourd’hui l’intérêt d’avoir une montre ? Le four, le smartphone, le micro-ondes, la bouilloire, le parcmètre ou même une station de bus nous donne l’heure. Il y a 200 ans, c’était l’horloge du village, il y a 100 ans, c’était la comtoise dans le salon.
La montre est aujourd’hui devenue presque un accessoire. Ma conviction est qu’il faut que ça donne l’heure, que ce soit esthétiquement agréable à regarder et à porter, et que ce soit un objet d’expérience. C’est l’expérience qui fait la différence entre un four et une montre. Le geste de déplacer son poignet vers ses yeux pour lire l’heure ne provoque pas vraiment d’effet waouh !
Pour un geste aussi anodin, il fallait qu’au premier abord, on retrouve tout de même cet effet waouh grâce aux aiguilles. Les aiguilles participent au design du cadran. Elles sont pas juste des pointeurs. Avec des aiguilles droites, on présente souvent les montres à 10h10 car les aiguilles gênent la lisibilité du cadran. On n’a pas ce problème avec nos aiguilles.
Quel est le profil type d’un acheteur de montres Beaubleu ?
Nous avons deux profils distincts : notre cœur de cible qui a 30-35 ans. Ce sont souvent des clients qui découvrent l’horlogerie. Ils sont perdus et cherchent une montre qui change de la montre du voisin.
Notre deuxième acheteur type a plutôt entre 45 et 55 ans, c’est un vrai passionné d’horlogerie. Ce sont souvent des collectionneurs. Dans tous les cas, 80 % des acheteurs sont des hommes.
Quels sont les modèles de montres les plus populaires de la marque ?
C’est compliqué de répondre car certains modèles ont disparu notre gamme. Globalement, les modèles les plus populaires sont la GMT Bleu de la Vitruve, la ECCE Lys et la ECCE Vesperal.
(ECCE Vesperal / ECCE Lys)
Vos montres proposent un calibre mécanique (Miyota 9015). Pourquoi ne pas proposer un calibre suisse ou franco-suisse via des marques comme Lajoux-Perret ?
Le calibre Miyota est un véritable tracteur qu’on rerègle en interne avec une dérive de marche tolérée de -7 / +7s par jour. Peu importe la marque du calibre, pour peu qu’il soit bien configuré, Miyota rivalise sans peine avec Sellita ou SoProd.
On dit souvent que les calibres suisses sont meilleurs. C’est aussi l’expérience de chacun des fabricants de calibres qui rentre en compte. Et le niveau de qualité qu’il souhaite atteindre. Pour que le prix ne soit pas un débat, on n’offre pas non plus les mêmes prestations avec une montre suisse qu’avec une montre avec un mouvement japonais.
Dernier point à prendre en compte : le mouvement Miyota était à l’époque 1 mm plus fin que son homologue suisse ETA. Et c’était un détail important car la montre est grâce à cela plus contenue.
Quid du SAV ? Est-il localisé en France ?
Le SAV Beaubleu est situé dans le 10ème à Paris. On y dépose les montres qui ont besoin d’être vérifiées par nos soins. Généralement, on règle les problèmes dans les deux semaines, retour compris.
Comment comptez-vous développer la notoriété de la marque en France dans les prochains mois ?
C’est une bonne question. On trouvait que c’était très compliqué de capitaliser sur la marque Beaubleu avec uniquement des montres en éditions limitées. C’est pourquoi on a lancé avec ECCE notre première collection permanente de montres.
Et ensuite on continuera de se faire plaisir avec des montres en éditions limitées, en prenant encore plus de risques. Nous souhaitons continuer de réinventer notre signature ; notre objectif n’est pas pour l’instant de créer d’autres signatures.
Par contre, au delà mêmes des aiguilles, on essaye de réinventer « ce qui va de soi » sur une Diver, une phase de Lune, une répétition minute…
Quelle est la répartition du chiffre d’affaires entre votre boutique en ligne, les revendeurs en ligne ou physiques et votre propre showroom situé à Paris dans le 3e ? Comptez-vous ouvrir de nouvelles boutiques ?
Notre boutique a ouvert en 2021 mais nous avons toujours aujourd’hui a une majorité de nos clients qui viennent directement acheter des montres sur notre site Internet.
J’ai ouvert la boutique car j’avais besoin d’un plus grand bureau, pour prouver que Beaubleu « va bien » et pour montrer qu’on ne s’excuse pas d’exister. On m’a souvent dit que la boutique pouvait me permettre de générer 12 % de plus de CA mais je l’ai ouverte en pensant que chaque vente faite ici allait être du pur bonus ! Je ne me suis donc fixé aucun objectif précis.
Au final, on est passé de 1 client par semaine, à 3 ou 4 tous les jours, qui parfois finalisent leur achat en ligne. Notre showroom permet également d’organiser des événements entre passionnés d’horlogerie.
En mars 2022, pour la sortie de la collection Union, vous avez levé sur Kickstarter 128 443 € sur 42 000 € demandés. Pourquoi ne pas avoir de nouveau fait appel au financement participatif pour votre collection permanente ECCE ?
Je savais qu’en allant sur Kickstarter, je le ferai qu’une seule fois. C’était un test mais je ne suis pas trop fan des tests : ça met uniquement en avant un prix face à un produit, avec une bonne affaire à clé. C’est pas le débat pour nous. On ne fait jamais de réduction, jamais de Black Friday…
Ça nous a servi en revanche pour nous développer à l’international.
En dehors des montres Beaubleu, quelles sont les 3 montres (de votre collection ou non) qui vous font le plus rêver ?
J’ai une toute petite collection mais voici les montres qui me font rêver :
- Jaeger LeCoultre Reverso
- Cartier Crash
- Bulgari Octo Finissimo
- Universal Geneve Polerouter
Jaeger LeCoultre Reverso / Cartier Crash
Bulgari Octo Finissimo / Universal Geneve Polerouter
Nicolas Ducoudert Pham, je vous remercie.
Les autres entretiens de Mr Montre
- François Moreau, le CEO et fondateur de RESERVOIR Watch,
- Nicolas Boutherin, le co-fondateur et directeur artistique de la marque Klokers,
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- Franz Linder, le CEO de la marque Mido,
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- Federico Restrepo, le fondateur de la marque Restrepo Watches,
- Maxime Herbelin, le directeur marketing de la marque Herbelin,
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- Arnaud Pézeron, le co-fondateur de SYE [Start Your Engine].